
Pour occuper les journées d’hiver, je reprends mes outils d’iconomécanophile.
L’occasion m’a été donnée de sortir un Minolta Autocord de sa torpeur. Il s’agit d’un modèle sans cellule incorporé, un Autocord MXV 2 doté d’un obturateur Citizen des années 50 dont l’obturateur plafonne au 1/400 ème de seconde. Le vendeur déclarait que l’obturateur était bloqué et que la chambre de visée était noire (!).Vu le prix, j’ai pris le risque de me lancer dans sa réparation. Autrement je n’aurai probablement jamais acquis un Autocord, dont les tarifs sont surestimés. Cet appareil est devenu avec le temps un objet de fantasmes aux yeux de certains qui me semblent exagérés eu égard à des prestations qui n’ont rien d’exceptionnel. Du reste il est assez courant de lire les qualités légendaires de tel ou tel objectif ou appareil photo alors que le temps et les évolutions ont fait leur oeuvre.
Un peu d’histoire:
L’histoire des réflex Minolta à deux objectifs est ancienne, le premier appareil connu étant le Minoltaflex, sorti en 1936, avec l’avancement du film à la lucarne, comme les premiers Rolleicord, doté d’un obturateur au 1/300 ème de seconde et d’un objectif Promar dont la structure est de type Tessar. L’appareil va être amélioré avec les modèles II (1950) et III (1954) équipé d’un obturateur au 1/500 ème très voisin du compur de l’époque et d’un objectif Rokkor à quatre lentilles. Le modèle III dispose de la baïonnette I et de l’avancement du film sans lucarne comme sur les Rolleicord des dernières séries. Parallèlement de 1939 à 1943, Minolta produisit le Minolta Automat, avec armement couplé à l’avancement du film, à l’instar du Rolleiflex.
Avec le Minoltacord, appareil sorti en 1955, Minolta change radicalement l’architecture de l’appareil. La mise au point se fait maintenant grâce à un levier placé sous le bloc optique qui actionne une hélicoïdale comme sur les Ricoh, les Flexaret et le Royer français. Minolta a préféré cette conception sans doute par volonté de simplifier la construction. Le chargement du film est inversé, la bobine réceptrice entrainée par la manivelle est placée en bas du boîtier et la fermeture du dos se fait en haut, là aussi comme sur le Flexaret. L’appareil gardera cette configuration jusqu’à la fin de la production dans les années 60. Il deviendra un peu plus tard l’Autocord avec plusieurs versions très proches les unes des autres à l’obturateur près, dans un premier temps sans cellule, ensuite avec une cellule au sélénium, puis une cellule CDS dans les derniers modèles. Les cellule ne furent jamais couplées, il est nécessaire de reporter les indications de vitesse et de diaphragme.
Au cours de sa carrière, il fut équipé d’obturateurs divers, Crown, S-Konan, Seikosha, Optiper, Citizen, dont la vitesse d’obturation s’échelonne de 1/300 ème pour les modèles anciens au 1/400 ème ou 1/500 ème pour les modèles les plus récents. On verra plus loin les pannes qui affectent les obturateurs.
Quelques caractéristiques positives et négatives :
- Certains de ces appareils, les CDS II et III, acceptaient les films 220 pour 24 clichés. Ces films sont maintenant introuvables, comme les piles PX13 qui équipaient les modèles CDS.
- Les clichés font de 56×56 sans possibilité d’utiliser un autre format comme le 24×36. J’ai appris récemment qu’il a existé un rare adaptateur pour film 127 autorisant des vues au format 4×4. Le dépoli comporte des traits de cadrage pour ce format.
- L’appareil ne comporte pas un système de correction de la parallaxe contrairement aux Rolleis. Le « Parajuster » Minolta a une utilisation limitée àla correction de la parallaxe pour les gros plans. On verra plus loin comment tenir compte de la parallaxe.
- La chambre noire est traitée efficacement pour limiter l’impact des reflets avec des chicanes (voir photo ci-après).
- Tous les appareils ont un objectif de visée ouvert à f3,2 et l’objectif de prise de vue est un 4 lentilles de formule Tessar. A noter que c’est la seule formule optique des objectifs à 4 lentilles reprise par tous les constructeurs ! L’Autocord ne recevra jamais d’optiques sophistiquées comme les Planar et Xenotar des Rolleiflex.
- La focale de 75 mm est légèrement plus large que celle d’autres TLR, Rolleiflex, Yashica….
- Il accepte tous les accessoires optiques des Rolleiflex en BAI 1, paresoleil, filtres et Rolleinar. Aucun souci de ce côté, j’ai vérifié, la compatibilité est totale avec les baïonnettes internes et externes. Les accessoires optiques Minolta sont introuvables à des tarifs corrects, tout comme la tête panoramique à l’usage aléatoire. Pour les panoramiques le numérique c’est mieux.
- La qualité de fabrication est dans les bons standards de la période. La durabilité est réelle mais les appareils ont souvent besoin d’une révision sérieuse pour les maintenir à niveau. Les anglos-saxons appellent cette opération CLA (Cleaning, lubrication, adjustements). Il est difficile de les faire réparer si un élément est cassé, en particulier le bouton de déplacement de la mise au point mais son entretien courant est aisé.
- Il pèse 900 grammes soit un peu moins que les Rolleiflex (980 gr) ou les Yashica (1 100gr).

Détail de la chicane de l’Autocord. Un bon point en comparaison d’autres appareils qui en sont dépourvus comme la plupart des Yashica.

Quelques bons sites d’information sur cet appareil :
- http://www.minolta.suaudeau.eu/appareils/entree_app.html
- https://fredmath.wixsite.com/minolta-autocord-en/history
- https://www.35mmc.com/24/05/2021/minolta-autocord-tlr-first-impressions-by-sroyon/
Le Minolta autocord n’est pas courant en France où il ne fut importé que dans la version avec cellule CDS. Les autres modèles présents en France proviennent de pays voisins ou d’importations individuelles du Japon.
J’ai relevé les prix suivants sur une publicité américaine du début des années 60: un Yashica mat valait 85$, un Minolta Autocord L 124 $, un Autocord comme le mien, sans cellule 99$, un Rolleicord VA 139$, un Rolleiflex Automat 250$ et un 2,8E 350$. Les Minolta étaient placés à un bon niveau de tarif. Malgré cela, leur diffusion a été maigre et il n’ont pas été utilisés par des photographes réputés. Je n’ai relevé que cinq clichés dans Photography Annual sur une quinzaine d’années, ce qui n’a rien à voir avec le millier de clichés publiés et pris avec des Rolleiflex. Bien sûr, on peut se demander pourquoi cet appareil et d’autres n’ont pas été davantage utilisés par des photographes connus. Dans les années 60/80 les Rolleiflex, Leica et Nikon étaient les plus répandus dans Photography Annual.
L’objectif Rokkor:

Il connaitra chez Minolta plusieurs versions se distinguant par les traitements de surface ou la composition des verres. Il a succédé au Promar lui aussi de formule Tessar qui a équipé beaucoup d’appareils MINOLTA élaborés des années 50. Le Yashinon monté sur les MAT a également la même formule tout comme les Rolleiflex qu’ils soient équipés d’un Xénar ou d’un Tessar. La qualité de ce Rokkor a fait dire à beaucoup qu’il était supérieur aux Planar et Xénotar. Il n’existe pas à ma connaissance de tests comparatifs des années 60/70 pour confirmer cette affirmation, étant rappelé qu’il y a des différences importantes entre les optiques en fonction du montage et de leur état. Un Rokkor en état et bien réglé est préférable à un Planar altéré. A noter que ce Rokkor comme tous ceux qui relèvent de la même formule comportent deux éléments séparés dans le groupe antérieur ce qui facilite le nettoyage et deux éléments collés dans le groupe postérieur moins exposé aux aléas du temps.
Les iconomécanophiles connaissent l’Autocord pour avoir trois types de pannes:
- Dans de très nombreux cas, les vitesses lentes sont lymphatiques suite à une inactivité. C’est la maladie des obturateurs centraux à volets, pas spécifique au Minolta. Les Compur, Prontor, Citizen, Copal… sont tous concernés après une longue période de stockage. La réparation est possible et durable avec une intervention limitée sans démonter totalement l’obturateur.
- L’hélicoïdale de mise au point est bloquée. La graisse figée s’agglomère à du vert de gris. Ca se répare avec délicatesse mais c’est difficile. Parfois le levier de commande de la mise au point a été cassé lors du déblocage de la rampe hélicoïdale en forçant. Il existe diverses solutions pour réparer la pièce cassée. Uniquement pour les spécialistes de la micromécanique.
- Le système d’armement est inopérant et donc, l’obturateur ne peut être déclenché. Pour réparer, il faut dans un premier temps déposer la platine avant et vérifier que la came actionnée par la manivelle actionne l’armement de l’obturateur. La panne peut aussi être causée par d’autres facteurs. Mon avis de réparateur amateur est que ce peut être mineur ou rédhibitoire notamment si une fausse manœuvre ou une réparation hasardeuse a été effectuée avec une pièce faussée ou perdue. Les « Citizen MXV » et les « Optiper » sont plus affectés par ces soucis que les autres obturateurs.
- Si l’appareil fonctionne, on limitera les interventions au nettoyage du bloc de visée, après dépose du viseur, du miroir et du dépoli et des objectifs avec des produits appropriés. On chassera les saletés de la chambre noire avec un pinceau et une poire. Régulièrement lors du stockage on actionnera l’obturateur et la rampe de mise au point.
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Mon exemplaire est un MXV 2 avec un obturateur Citizen MXV. MXV signifie, synchronisation du flash M et X et retardateur pour V (Vorlaufwerk). Il s’agit d’une désignation faite par analogie avec les appareils photo allemands. La vitesse d’obturation maximale est le 1/400ème de seconde (1). Cet appareil que j’ai reçu du Japon a beaucoup servi. Il a probablement été entretenu à en juger par l’état de l’objectif et du viseur. Le propriétaire a effectué des retouches de peinture sur les bordures du dos et la platine avant. La peinture utilisée (sans doute cellulosique) a dissous la peinture d’origine formant une sorte de « granité » disgracieux. Les objectifs n’ont aucune altération. Diaphragme et lamelles de l’obturateur sont exempts d’oxydation et de graisse. Le système de mise au point est fluide.


Ci dessus, deux vues latérales du Minolta. Il manque le revêtement sur les boutons qui sont encrassés. Depuis j’ai collé deux pastilles adéquates.
En ouvrant le paquet bien emballé, j’avais entendu le bruit d’un objet qui se promenait dans l’appareil. Il s’agit du miroir qui est cassé. Dommage il n’était pas piqué. Pourtant l’appareil n’a pas de trace de choc.
Première réparation, le miroir.
Je comprends mieux pourquoi le vendeur m’avait dit qu’on ne voyait rien par l’objectif de visée.



Après nettoyage de la chambre de visée encombrée de débris de verre et d’autres détritus, je monte pour essai un miroir propre récupéré sur un Seagull qui va parfaitement sans le recouper. Je décide de le fixer à demeure. Il est curieux de constater que ce miroir convient alors qu’il est un peu plus grand en hauteur que l’original. Ca ne gêne pas la fermeture du capuchon. La mise au point n’a pas besoin d’être recalibrée.
Le miroir de l’Autocord mesure 60x50x28 comme celui des Rolleicord modernes. Celui que j’ai installé mesure 63,5x50x31. Leur épaisseur est de 1,3 mm. Ces miroirs sont argentés sur la face extérieure contrairement aux miroirs classiques domestiques.


Deuxième réparation, l’obturateur, vais-je avoir autant de chance qu’avec le miroir ?
Les symptômes :
La manivelle tourne, mais le déclenchement est inopérant, quelles que soient les vitesses sélectionnées. Toutefois, le déplacement du curseur des vitesses montre qu’il est armé.
Il faut ouvrir. Chaque opération de cette nature provoque une appréhension, car on ignore si cela va réussir. J’ai pourtant traité avec succès des dizaines d’appareils dont l’obturateur avait un problème, des Rolleiflex, Ikoflex, Seagull, Semflex, Voigtlander, Kinax, Franka, Agfa, Ensign… seuls un Royer 6×9 et un Seagull n’ont pu être réparés, les précédents propriétaires étant intervenus comme des sagouins. Un ressort cassé ou une vis perdue peuvent être fatals. Ce qui me semble être un bon point, c’est que je ne vois pas de traces de démontage à l’extérieur.
Je me suis documenté sur le site de Mike Eckman https://mikeeckman.com/2018/05/minolta-autocord-1958/ qui détaille une partie de l’opération de démontage du boîtier, étant précisé qu’il désosse l’appareil pour débloquer la rampe hélicoïdale de mise au point ce qui est inutile dans mon cas. Il n’évoque pas la remise en état de l’obturateur mais on le trouve sur d’autres sites via youtube.
Je dépose la face avant, après avoir enlevé le revêtement qui ne tient pas bien. Je garde les différents morceaux pour servir éventuellement de patron pour un futur revêtement . Il y a 5 vis à dévisser. Ensuite je dépose le carter qui comprend les deux baïonnettes des objectifs.



L’objectif de prise de vue dévissé avec soin, je tourne d’un demi-tour une vis qui comporte un méplat, destinée à libérer la couronne dentée, très fragile et que je dévisse. Ensuite j’enlève la couronne des vitesses (sur laquelle les vitesses figurent) et une flasque centrale. Le mécanisme apparaît.

Je m’aperçois qu’une petite pièce (non vissée) sur le mécanisme de retardement est tombée lors de l’opération (voir image en dessous). Je la repositionne. La manoeuvre de la manivelle qui actionne l’armement (via une couronne sous l’obturateur) est gommée faute de lubrification. J’entreprends de lubrifier les mécanismes d’armement, du retardateur et des vitesses lentes ainsi que les pivots des leviers divers pour en faciliter le mouvement. Avec un petit pinceau, je passe sans excès sur les engrenages, leurs axes et les « rochers » (2), un produit appelé Interflon, non huileux à base de Téflon qui facilite le glissement des pièces. Je l’utilise depuis des années sur les obturateurs que je répare. Mais rien ne bouge sauf la couronne qui est maintenant dégagée.

A force de tâter les composants du mécanisme avec une grosse aiguille comme un crochet de dentiste, je finis par le libérer et il déclenche normalement. Je le rode plusieurs fois, à diverses vitesses avec et sans le retardateur qui, soit dit en passant ne fonctionne pas lorsque le flash est réglé en mode M. L’appareil est-il conçu ainsi ? Pas gênant.

Je remonte tout sauf l’objectif et le carter pour permettre aux vapeurs d’Interflon de s’évaporer et ne pas polluer les lamelles du diaphragme et de l’obturateur. Dans quelques jours, je reposerai à nouveau le carter et j’installerai l’objectif stocké soigneusement. Au passage, l’extérieur du carter a été nettoyé avec une brosse à dents et en particulier les baïonnettes de fixation des filtres et la fenêtre des vitesses. Pour bien replacer le carter, on règle vitesses et diaphragme aux mêmes valeurs sur l’obturateur et dans les fenêtres supérieures, en haut du carter, par exemple f3,5 et 1/400 ème.
Vérification de la mise au point.
L’appareil n’a pas subi apparemment de dommages tels qu’une chute sur la platine avant et les réparations que j’ai effectuées n’affectent en rien la mise au point.
Je vérifie malgré tout. A la visée, sur le dépoli des objets à différentes distances sont nets. Je vise également une antenne lointaine à la position « infini » qui est nette.
A la prise de vue, j’utilise la méthode artisanale du collimatage et je ne remarque rien d’anormal. J’ai décrit l’opération, ici: https://mlmpages.wordpress.com/2018/12/01/reglage-de-linfini-sur-un-appareil-a-soufflet-folding/
Le contact du flash:
Il est ok à toutes les vitesses, test fait avec un vieux Metz.
La parallaxe, comment faire ?
L’appareil ne dispose pas d’un système de correction de la parallaxe contrairement au Rolleiflex/Rolleicord. En pratique, cela n’a d’importance que lors des prises de vue rapprochées en dessous de 2 mètres. Comme l’image observée dans le viseur est cadrée au dessus de l’image qui sera figée sur le film il est nécessaire d’incliner légèrement le haut de l’Autocord en arrière (l’axe étant la charnière inférieure) pour rapprocher les deux images. Bien que ce soit plus aisé avec un trépied équipé d’une rotule, avec le temps on s’y habitue lorsqu’on photographie à main levée. Il n’y a pas de repères sur le dépoli.
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Pour la suite, je m’interroge sur l’aspect. L’appareil a son vécu, il fonctionne très bien maintenant. Je pense uniquement poser un nouveau revêtement sur la façade. La peinture ? Je crains de ne faire pire que le précédent propriétaire et que le rendu ne soit trop clinquant ou trop mat car je n’ai pas trouvé la peinture adéquate pour des restaurations analogues.
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Conclusion provisoire:
Le Minolta Autocord est un bon appareil 6×6 (voire très bon) qui a ses adeptes parfois aveuglés car il n’a rien d’extraordinaire par rapport à la référence dans le domaine, le Rolleiflex. Il est même légèrement en retrait en comparaison d’un équivalent sans cellule comme l’Automat 4. Correctement ajusté si nécessaire, cet appareil vous donnera de belles images. Alors si vous voulez vous équiper d’un TLR 6×6 à avancement couplé à l’armement, vous avez le choix, Rolleiflex dans de nombreuses versions, Yashica Mat, Seagull ou Minolta Autocord. Je pense avoir donné dans mes pages le maximum d’informations pour vous permettre de choisir lors de l’achat. Quant aux tarifs, on en voit comme toujours à des prix délirants. Pour un appareil en bon état avec sac mais sans cellule car c’est un composant problématique et moyennement efficace, je n’y consacrerais pas plus de 250/300€.

(1) La vitesse du 1/400 ème n’est inférieure au 1/500 ème que sur le papier. Beaucoup d’obturateurs – même les plus sérieux comme les Synchro-Compur – affichant la vitesse du 1/500 ème de seconde ne donnent en fait qu’une vitesse entre le 1/250 ème et le 1/375 ème de seconde. Les obturateurs japonais, surtout les plus récents, respectent mieux l’échelle des vitesses que leurs homologues allemands. Les ultimes Rolleiflex 2,8 GX utilisent un obturateur japonais.
(2) le « rocher » est une sorte d’engrenage destiné à ralentir ou temporiser un mécanisme. Il se présente sous la forme d’une roue dentée sur laquelle frotte un ergot (voir ci-dessous entouré de rouge). Sur la plupart des appareils il y a deux rochers, un sur le retardateur et l’autre sur le mécanisme de déclenchement.
